L’Europe prépare sa propre architecture pour bâtir un réseau conforme à ses priorités : sécurité, résilience, normes ouvertes et sobriété spatiale. Nom de code : BROMO. Au cœur de ce mouvement, une industrie robuste : Airbus, Thales, Leonardo et des opérateurs comme Eutelsat ou SES. Et un programme cadre: IRIS², pensé pour les communications souveraines et la complémentarité avec la 5G. Le tout avec une question simple: que veut-on vraiment d’une constellation européenne ?
Pourquoi une constellation européenne ?
Les mégaconstellations misent sur des centaines à des milliers de satellites en orbite basse, beaucoup plus proches de la surface que les satellites géostationnaires. Résultat: une latence réduite avec une couverture massive, et une capacité qui suit la demande à coups de lancements en série.
Starlink a montré la voie avec plusieurs milliers d’unités en service. Amazon prépare Kuiper. la Chine, le Canada et d’autres avancent leurs pions. L’Europe n’est pas vierge: Eutelsat-OneWeb exploite déjà une constellation pour les entreprises, les gouvernements, l’aviation et le maritime.
IRIS² lui, vise une connectivité sécurisée et résiliente pour les services publics et les infrastructures critiques, avec une architecture multi-orbite, une attention portée au chiffrement de bout en bout et l’intégration future à l’EuroQCI, l’initiative européenne de communications quantiques.
L’objectif n’est pas d’arroser chaque foyer européen de boîtiers identiques, mais de fournir un filet de sécurité numérique pour l’Europe, ainsi qu’un complément de capacité là où la fibre et la 5G/6G n’arriveront pas toujours.
Souveraineté, usages et contraintes
Pourquoi investir? D’abord pour la souveraineté : ne pas dépendre exclusivement d’acteurs extra-européens pour des communications sensibles. Ensuite pour la résilience : en cas de catastrophe, cyberattaque ou rupture de câble sous-marin, une constellation offre un plan B. Les usages concrets abondent : liaisons de secours pour les hôpitaux, continuité réseau pour les opérateurs, communications sécurisées pour les administrations, connectivité avion et mer, et, de plus en plus, l’extension de la 5G.
Le Saint Graal, la connexion directe au smartphone progresse, mais reste contrainte par la puissance, le spectre et les antennes. L’Europe, active dans la normalisation, peut peser sur une interopérabilité réelle plutôt que sur des solutions propriétaires.
Mais il y a un mais : ce genre de joujou génère du trafic orbital, des débris et de la pollution lumineuse. Les constellations doivent intégrer le « design for demise » (se consumer lors de la rentrée dans l’atmosphère), des plans de désorbitation rapides (cible de cinq ans après fin de vie) et des systèmes d’évitement autonomes. L’ESA pousse une « Zero Debris Charter » et l’Europe discute la gestion du trafic spatial comme on gère l’aviation.
Côté ciel nocturne, l’atténuation de la brillance (revêtements, orbites adaptées) devient un critère de design, pas un après-coup.
Enfin, il y a le sujet des lanceurs: Ariane 6 démarre sa montée en cadence, mais la réutilisation européenne (Thémis/Prometheus, MaiaSpace, et les microlanceurs privés) doit encore prouver qu’elle peut réduire les coûts au niveau des cadences américaines. Sans cela, difficile de déployer des flottes complètes au bon prix.
Réussir sans copier-coller
Si l’Europe veut exister face aux géants, le piège serait de vouloir « faire un Starlink bis ». Sa carte maîtresse est ailleurs: un système orienté sécurité et interopérabilité, qui s’emboîte naturellement avec la fibre, la 5G/6G et les réseaux professionnels.
Au fond, l’équation est simple: plutôt que de jouer la course au nombre de satellites, viser la qualité de service, la soutenabilité et la conformité aux normes que l’Europe contribue à écrire. Une constellation n’est pas un trophée, c’est une pièce d’un puzzle d’infrastructures. Gagner la partie, ce sera, dans vingt ans, disposer d’un ciel habité par des satellites utiles, discrets et recyclés. Et d’un réseau que l’on peut, surtout, continuer d’admirer sans lever la tête avec inquiétude.